Poste, une courte nuit de lutte et retour à la casse de départ?
Poste, une courte nuit de lutte et retour à la casse de départ?
Dans la nuit du 24 au 25 novembre, environ 200 militant-e-s du Syndicat de la communication, dont lauteur de ces lignes, bloquaient les centres de tri des colis à Daillens, Frauenfeld et Härkingen et le centre du courrier de Bellinzone. Le 10 novembre déjà, le syndicat de la communication tenait une assemblée nationale à lissue de laquelle ses délégué-e-s occupaient loffice de poste de la Bärenplatz à Bern. Le communiqué issu de cette assemblée condamnait vivement les «les efforts que fait la poste en vue de se soustraire à la convention collective, grâce à des mesures dexternalisation» et déclarait quen raison de cette politique le syndicat nétait «plus astreint au respect de la paix du travail.»1
Tranches de salami
Et en effet, La Poste, déjà issue de la scission des ex-PTT, connaît depuis des années, un processus de division supplémentaire en «unité daffaires» internes, sensées se comporter en «entreprises» à part entière, et en S.A. de droit privé, auxquelles on confie tel ou tel créneau, quand on ne la sous-traite pas directement au secteur privé. Tout ceci au nom de la compétitivité et de la rentabilité marchande de son activité, qui passe également par lengagement de personnel par lentremise dentreprises privées de «location de services».
Aujourdhui, par division ou par acquisitions, La Poste suisse est ainsi à la tête dun «groupe» qui comporte une quinzaine de sociétés anonymes en Suisse, sans parler dune vingtaine de sociétés à létranger.
La création dExpressPost SA a, par exemple, été décidée en 2003 pour y transférer toute lactivité des exprès, cest cette société qui assure notamment la distribution en plein boom depuis quelques mois des achats faits par Internet sur le site de la Migros. Les motifs mis en avant à lépoque pour cette décision de la direction de La Poste: soustraire les employé-e-s de la nouvelle société à la Convention collective de la Poste, pour baisser les salaires et augmenter le temps de travail!2
Aujourdhui, le processus se poursuit, dautres secteurs sont dans le collimateur de lexternalisation/privatisation, notamment les cars postaux où on évoque des baisses de salaires de lordre de 20%, liées au «différentiel» avec les «salaires du marché», pour les chauffeurs notamment.
A signaler bien sûr que cette création de société anonymes de droit privé outre limposition de conditions de travail et de rémunération «flexibilisées» pour maximiser les profits créé les conditions de privatisations, rampantes ou selon la tactique du salami.
Position syndicale en retrait
Or, jusquici ce processus de fragmentation-flexibilisation-privatisation na guère rencontré dopposition de principe du côté syndical. A tel point que, dans son communiqué du 10 novembre dernier, le syndicat de la Communication a tenu à se livrer à la «mise au point» suivante. Concernant ExpressPost dit-il: «Le syndicat a approuvé lexternalisation à titre exceptionnel, approbation assortie de la condition de négocier une CCT. On ne peut pas comprendre que cette approbation exceptionnelle puisse sappliquer à toutes les mesures dexternalisation. Le syndicat nacceptera jamais de politique dexternalisation de lentreprise tant quelle sert à réduire les coûts salariaux et à dégrader les conditions de travail.»
On notera lévolution, à lépoque il sagissait dobtenir de négocier «une» CCT ad hoc. Or aujourdhui ou plutôt juste hier on affirme sopposer à la politique dexternalisation tant quelle sert à mettre sous pression les travailleurs (mais nest-ce pas toujours le cas?), et le mouvement de lutte a été déclenché en brandissant létendard du respect, dans toutes les parties du groupe, des conditions de LA convention collective de la Poste.
Une évolution positive, mais qui signifie, pour être sérieux, une opposition conséquente à toute «externalisation» et de revendiquer à linverse la reconsolidation de lensemble des activités de la Poste sous le toit dune régie publique, avec un statut commun pour lensemble de son personnel, et en mettant en avant des revendications communes pour la défense et lamélioration de celui-ci.
Normalisation éclair
Mais, lépisode de lutte de fin novembre déclenché sous la pression dun mécontentement réel et étendu des travailleurs-euses, reflété dans plusieurs assemblées dans les régions a été refermé de manière si rapide quil na guère pu poser les questions évoquées ci-dessus. Laction est restée symbolique, regroupant un nombre limité de militant-e-s et de permanents (un peu plus de deux cent à léchelle nationale) et, plutôt que de servir de prologue, appelant à une suite de la lutte visant à mobiliser tous les salarié-e-s de la Poste, il a été présenté comme un action «à la limite» du maximum possible sous peine de «toucher les usagers» ce qui, selon Christian Levrat président du syndicat de la Communication, «ne nous rendrait guère populaire». Dans cet esprit, laction a même été «raccourcie» et les blocages levés plus tôt que prévu!
Sur le fond du débat au lendemain de laction, soit le jeudi 25 novembre la Poste se fendait dun communiqué dans lequel elle rappelait quelle avait «toujours débattu de manière partenariale avec les syndicats des réorganisations et des externalisations», quelle restait «disposée à négocier» et que «ladaptation de la CCT aux différentes branches dactivité» était pour elle «aussi une option envisageable.»
Le vendredi 26 novembre, avait lieu une réunion entre la Poste et la direction syndicale pour lessentiel sur ces bases «Ce nest pas encore la paix des braves, mais une sorte darmistice» déclarait Christian Levrat commentant, le lendemain dans Le Temps, laccord de reprise des négociations avec renoncement jusquà nouvel ordre à de nouvelles actions syndicales. «Les dirigeants de la poste se sont montrés étonnamment constructif» rajoutait-il, en saluant comme un progrès notable le fait de pouvoir discuter dun modèle comparable à celui en vigueur chez Swisscom concernant les CCT avec un «tronc commun» et des accords spécifiques propres à chaque filiale
Sortir de limpasse
Or, la veille la Poste réaffirmait pourtant publiquement que son objectif restait «de garantir la compétitivité de la poste grâce à des conditions dengagement liées aux branches dactivité », quelle «sen tenait à son objectif de moins 10% de «frais» par année à partir de 2006 » et quelle était naturellement «ouverte aux propositions des syndicats sur les moyens pour atteindre cet objectif (par ex. adaptation des conditions dengagement, modèles flexibles de temps de travail )»
Remettre en selle la «paix du travail», renoncer à poursuivre la lutte à peine entamée, avoir peur de compter sur la solidarité des usagers-ères, ne pas sattaquer au fond des externalisations-privatisations, rentrer en matière sur une adaptation des conditions conventionnelles à chaque filiale Cest un cul-de-sac syndical dont il faut sortir!
José Ramon GONZALEZ
- Communiqué du 10.11.04 du Syndicat de la communication.
- V. interview dUlrich Gygi dans la Sonntagszeitung du 6.7.03.